Les personnes sourdes et malentendantes sont, en plus de leur déficit auditif, confrontées à de lourds problèmes d’accès à l’information dans une société majoritairement entendante. Entendants et Sourds ne peuvent se comprendre dans une langue qui n’est que celle de l’un des deux interlocuteurs.
Bien sûr certains Sourds oralisent mais à quel prix ? Nombreux sont ceux qui racontent leur enfance douloureuse, jalonnée par des rdv chez l’orthophoniste dont le métier était alors de faire en sorte que le Sourd parle. Parler est une chose, lire sur les lèvres en est une autre fastidieuse et fatigante. Sans parler du problème actuel du masque qui est un frein de plus à la communication pour la personne sourde.
Heureusement les choses ont changé depuis la fin de XXeme siècle et davantage encore depuis la loi de 2005 sur l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. C’est à cette date, 2005 donc, que la langue des signes fut reconnue comme langue officielle. Notre pays a donc deux langues officielles : le français et la langue des signes française. Et peu d’entendants le savent… En effet trop peu de personnes pratiquent la langue des signes en France. Entendants et Sourds se heurtent donc à des limites dans leurs échanges qui deviennent imprécis ou biaisés car les deux interlocuteurs doivent souvent faire appel à une tierce personne qui est fréquemment un entendant venant de la famille du Sourd et pratiquant donc la LSF.
On imagine alors aisément qu’il peut s’avérer difficile de communiquer franchement sans honte et sans tabou, sans parler du fait que le message, au cours de la traduction, puisse être biaisé, tronqué ou déformé. Par ailleurs, oserions-nous parler de nos problèmes de santé ouvertement devant nos enfants qui en feraient la traduction à un tiers ? Dans le domaine de la santé, ces limites ont constitué un problème majeur au moment de l’épidémie du SIDA.
Aucune information n’était donnée en Langue des Signes, la prise en charge médicale n’était pas adaptée à la population sourde qui devait donc se fier à ce qui se disait dans la communauté. L’épidémie a fait des ravages chez les Sourds et nombres d’entre eux ont eu des décès à déplorer dans leur entourage. C’est ainsi qu’en 1995, à l’Hôpital Pitié Salpêtrière à Paris, naît la première unité de soins spécifiquement adaptée aux personnes sourdes et malentendantes.
Face au succès de cette unité, le Ministère de la Santé décide de créer une dizaine d’unités similaires sur toute la France, dans les grands hôpitaux. Les services publics se doivent en effet d’être accessibles à tous quels que soient leurs besoins et leurs différences. C’est en réfléchissant à cet accès aux différents soins que nous avons décidé de rendre la pratique de la mémoire cellulaire accessible aux Sourds, et de proposer des consultations uniquement en LSF sans intermédiaire, de façon à respecter la déontologie et le secret professionnel de notre métier.
Cette pratique n’est pas encore officiellement reconnue et nous y travaillons ardemment mais nous avons le soutien de médecins entendants et de médecins qui ont oeuvré à l’adaptabilité de la langue au sein de leurs consultations. Ce sont ces médecins qui relaient aussi les informations concernant notre pratique de mémoire cellulaire en LSF sur les réseaux sociaux de la communauté sourde lui conférant une légitimité que nous savons évidente mais qui ne l’est pas encore pour les pouvoirs publics. Peu importe, chaque chose arrive au bon moment, l’heure est pour l’instant à l’accessibilité et nous sommes fiers de pouvoir rendre cette pratique essentielle accessible aux sourds. Il y a encore beaucoup à faire au sein de cette communauté qui est la grande laissée pour compte dans le domaine du handicap en France mais, que la mémoire cellulaire puisse y faire aussi rapidement son entrée, est extraordinaire. Pour une fois, les Sourds auront la chance d’avoir accès à une pratique extrêmement importante dans leur langue, sans intermédiaire et sans les délais auxquels on les a, malheureusement, habitués.
Mon expérience personnelle de la mémoire cellulaire vers laquelle je me suis tournée quand, au plus profond de la maladie, handicapée dans mon corps et terriblement souffrante, je ne trouvais pas d’aide chez les psychiatres et psychologues vers lesquels on m’orientait, m’a permis de traverser les différentes étapes d’acceptation de la maladie. J’ai pu y mettre du sens et de la conscience. Au lieu de m’enfermer sur moi même en me victimisant, l’équipe de Corps et sens m’a accompagnée sur la voie de la résilience et de l’acceptation. Aujourd’hui je travaille et je vis avec ce projet de redonner à la communauté sourde que j’affectionne particulièrement, la possibilité de suivre une voie tout aussi belle. Je remercie, du fond du coeur, toute l’équipe et particulièrement Véronique Brousse, du soutien indéfectible qu’elle me porte.
Diane Mahieu